Detroit
07.10.2011We almost lost Detroit
Et j’ai vu en effet des grands bâtiments trapus et vitrés, des sortes de cages à mouches sans fin, dans lesquelles on discernait des hommes à remuer, mais remuer à peine, comme s’ils ne se débattaient plus que faiblement contre je ne sais quoi d’impossible. C’était ça Ford ? Et puis tout autour et au-dessus jusqu’au ciel un bruit lourd et multiple et sourd de torrents d’appareils, dur, l’entêtement des mécaniques à tourner, rouler, gémir, toujours prêtes à casser et ne cassant jamais.
« C’est donc ici que je me suis dit… C’est pas excitant… ». C’était même pire que tout le reste. Je me suis approché de plus près, jusqu’à la porte où c’était écrit sur une ardoise qu’on demandait du monde.
J’étais pas le seul à attendre.
« Il faut abolir la vie du dehors, en faire aussi d’elle de l’acier, quelque chose d’utile. On l’aimait pas assez telle qu’elle était, c’est pour ça. Faut en faire un objet donc, du solide, c’est la Règle. J’essayais de lui parler au contremaître à l’oreille, il a grogné comme un cochon en réponse et par les gestes seulement il m’a montré, bien patient, la très simple manœuvre que je devais accomplir désormais pour toujours. Mes minutes, mes heures, mon reste de temps comme ceux d’ici s’en iraient à passer des petites chevilles à l’aveugle d’à côté qui calibrait, lui, depuis des années les chevilles, les mêmes. Moi j’ai fais ça tout de suite très mal. On ne me blâma point, seulement après trois jours de ce labeur initial, je fus transféré, raté déjà, au trimballage du petit chariot rempli de rondelles, celui qui cabotait d’une machine à l’autre. Là, j’en laissais trois, ici douze, là-bas quinze seulement. Personne ne me parlait. On existait plus que par une sorte d’hésitation entre l’hébétude et le délire. Rien n’importait que la continuité fracassante des mille et mille instruments qui commandaient les hommes. »
***
Pour ce premier vendredi du mois, j’ai le plaisir de recevoir Pierre Ménard — maître des lieux du splendide Liminaire — dans le cadre de la belle opération des vases communicants. Vous trouverez ici ma contribution à sa Radio Marelle.
N’hésitez pas à aller vous perdre dans la liste des autres participants.
3 Comments
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Me rappelle, lors d’un emploi de quelques mois en usine, une forme dessinée au marqueur sur un établi, qui pouvait contenir le nombre exact de boulons à visser en une heure ; clepsydre des mouvements à faire…
Très jolie description – mais pas que, bien sûr -, bravo.
Comment by L'irrégulier — 08.10.2011 #
Cool de voir que tu continues encore (j’avais un blog fut un temps, que tu suivais avec attention, je revenais aussi pour te dire merci).
Yo !
Comment by Brice — 30.10.2011 #
Hey, mais je me demandais régulièrement ce que tu devenais et quand est-ce que tu te remettrais à écrire.
Et je découvre donc des Tumblr, un Twitter… C’est la belle nouvelle de la journée !
Comment by starsky — 30.10.2011 #